Par l’Institut de la statistique du Québec
Le rapport La violence et la négligence familiales dans la vie des enfants du Québec, 2024 présente les résultats de la cinquième édition d’une enquête populationnelle de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), réalisée avec le soutien du ministère de la Santé et des Services sociaux et de plusieurs chercheurs universitaires. Cette étude met en lumière les problématiques de violence et négligence familiales.
Menée entre mai et août 2024, cette édition vise à mesurer la prévalence de la violence et de la négligence familiales chez les enfants de 6 mois à 17 ans, à en cerner les facteurs associés et à suivre l’évolution des tendances depuis 1999, dans un contexte post-pandémique marqué par des enjeux de santé mentale et de parentalité.
Objectifs et méthodologie
L’enquête a recueilli des données représentatives sur les enfants vivant dans des logements non institutionnels au Québec. Un échantillon de 11 652 enfants entre 6 mois et 17 ans a été constitué, et un parent par enfant a répondu à un questionnaire Web anonyme d’une centaine de questions.
L’étude portait sur cinq thèmes : attitudes parentales envers la punition corporelle, violence physique et psychologique, négligence, exposition à la violence conjugale et violence périnatale envers la mère. Ces phénomènes ont été analysés selon divers facteurs contextuels : stress parental, soutien social, conditions économiques, santé mentale du parent et temps d’écran de l’enfant.
L’enquête ne permet pas d’établir de lien de causalité, mais d’offrir un portrait statistique complet et fiable de la maltraitance familiale au Québec.
Principaux constats
1. Violence envers les enfants
L’enquête montre que la violence psychologique répétée demeure la forme la plus répandue de maltraitance familiale, suivie par la violence physique mineure, puis la violence physique sévère.
- Cette violence touche davantage les familles exposées à un stress parental élevé, à des difficultés de conciliation travail-famille ou à des attentes sociales élevées envers la parentalité.
- Les familles favorisées tendent à rapporter plus d’agressions psychologiques, tandis que les familles défavorisées présentent davantage de violence physique.
- Les enfants ayant des besoins particuliers (difficultés d’apprentissage, santé mentale ou physique) sont significativement plus à risque.
2. Négligence et risque de négligence
Le rapport introduit un indicateur global de négligence fondé sur trois dimensions : cognitive-affective, supervision et physique.
- Les enfants dont les parents présentent des symptômes dépressifs modérés à graves ou des problèmes de consommation d’alcool sont plus susceptibles d’être négligés.
- Les taux de négligence augmentent chez les parents ayant un faible niveau de scolarité ou vivant seuls.
- Un temps d’écran élevé chez l’enfant (plus de trois heures par jour) est aussi associé à un risque accru de négligence.
- Le soutien social joue un rôle protecteur déterminant : les enfants dont les parents bénéficient d’un réseau solide présentent des taux de négligence significativement plus faibles.
3. Exposition à la violence entre partenaires intimes
Près d’un enfant sur cinq est exposé à des conflits violents entre les adultes du ménage.
- L’exposition est plus fréquente lorsque le parent a lui-même vécu de la violence ou de la négligence dans son enfance, révélant la transmission intergénérationnelle de la victimisation.
- Les enfants de familles vivant des difficultés économiques ou des symptômes dépressifs parentaux sont plus exposés.
4. Concomitance des formes de maltraitance
L’enquête met en lumière la polyvictimisation, soit la coexistence de plusieurs types de maltraitance.
- Un enfant peut être simultanément victime de violence, de négligence et exposé à la violence conjugale.
- Les facteurs les plus associés à cette concomitance sont : stress familial élevé, monoparentalité, problèmes de santé mentale parentaux, faible soutien social, et précarité économique.
- Cette approche multidimensionnelle souligne l’importance d’une prévention intégrée centrée sur le bien-être global de la famille.
Effets de la pandémie de COVID-19
La pandémie a eu un effet mesurable sur les relations familiales.
- Les ménages où les parents ont perçu une détérioration des relations avec l’enfant pendant la pandémie présentent des taux plus élevés de violence psychologique et physique.
- Le stress lié au télétravail, à l’isolement et à la charge mentale accrue a amplifié les tensions intrafamiliales.
Facteurs de protection et pistes d’action
Le rapport insiste sur plusieurs axes de prévention :
- Soutenir la parentalité dès la période périnatale, notamment par des programmes de préparation à la parentalité et de soutien émotionnel.
- Renforcer le soutien social et communautaire, surtout pour les familles isolées ou en contexte de vulnérabilité.
- Favoriser la conciliation famille-travail, afin de réduire le stress lié à la surcharge parentale.
- Améliorer les politiques familiales et les mesures de lutte contre la pauvreté, qui constituent des déterminants majeurs du bien-être des enfants.
- Informer et sensibiliser à la non-violence éducative et à l’importance de pratiques parentales positives.
Conclusion
Les résultats de l’édition 2024 confirment que la violence et la négligence familiales demeurent des réalités préoccupantes au Québec. Elles s’enracinent dans une interaction complexe entre les facteurs psychologiques, relationnels et socioéconomiques. La concomitance des risques et des conséquences appelle des interventions holistiques et multidimensionnelles.
La prévention doit reposer sur une approche systémique, combinant soutien parental, interventions précoces et politiques publiques équitables. L’étude rappelle enfin que la qualité du lien parental et du soutien social demeure le levier le plus puissant pour protéger les enfants et favoriser leur développement dans un environnement sécuritaire et bienveillant.